Objectif zéro émission
Selon tous les scénarios, le gaz naturel et le charbon pourraient alimenter les secteurs électrique et industriel pendant encore au moins 50 ans. Mais qui dit hydrocarbures, dit gaz à effet de serre, et là peuvent entrer en jeu le captage et le stockage du dioxyde de carbone. Reste à voir comment en limiter le coût énergétique, encore beaucoup trop élevé.
Équiper d’un système de captage et de stockage du CO2 (CSC) toutes les centrales électriques européennes fonctionnant au gaz et au charbon: fantasme ou réalité? Voilà déjà presque trois ans que le projet Castor (CO2 from capture to storage) ausculte le secteur énergétique européen afin d’éprouver la faisabilité des systèmes de captage par postcombustion et des méthodes de stockage du CO2 qui pourraient les accompagner.
La postcombustion permet d’intercepter le CO2 au sein même des fumées habituellement rejetées dans l’atmosphère. «Elle comporte l’avantage d’être aisément adaptable aux centrales électriques traditionnelles et constitue de ce fait l’option de captage la plus à même d’être implantée sur le court terme», explique Pierre Le Thiez, coordinateur de Castor pour l’Institut Français du Pétrole. «Le principe est simple. Les fumées d’échappement sont traitées à l’intérieur d’un contacteur contenant un solvant dont la propriété est de se lier au dioxyde de carbone. Une fois «enrichi», le solvant passe ensuite au sein d’un régénérateur où il est chauffé afin de briser les liens chimiques qui le lient au CO2. Le gaz carbonique est ensuite capté et le solvant appauvri réinjecté dans le circuit.»
La technique est mise à l’épreuve depuis mars 2006 à Esbjerg, au Danemark, où une centrale au charbon équipée d’un système de CSC est entrée en fonction dans le cadre de Castor. Un projet pilote unique à l’échelle mondiale, qui permettra de tester et d’améliorer la postcombustion. «La réduction du coût du captage, actuellement responsable de quelque 2/3 des frais totaux du CSC, est primordiale. Car si l’atténuation des émissions de CO2 est aussi énergivore que la création d’électricité, le CSC perd bien évidemment tout son intérêt.»
Les concurrents: pré et oxycombustion
Depuis le début des années 2000, un énorme effort de recherche se concentre également sur deux autres options en matière de captage: la précombustion et l’oxycombustion, deux techniques implantables à plus long terme.
La précombustion, dont la particularité est de capter le CO2 en amont, ajoute au préalable de la vapeur d’eau ou de l’oxygène au carburant, en vue de le transformer en gaz de synthèse – syngaz – constitué de CO2 et d’hydrogène. Une fois isolé, l’hydrogène permettra de générer de l’électricité tandis que le CO2 sera liquéfié avant d’être stocké. Un premier pas vers la société de l’hydrogène en somme, incarné en Europe par HypoGen – pendant du projet américain FuturGen –, un programme qui vise à ériger les toutes premières centrales électriques européennes équipées de CSC par précombustion. La première phase d’HypoGen est prise en charge par le projet Dynamis (Towards Hydrogen and Electricity Production with Carbon Dioxide Capture and Storage), qui en étudie la faisabilité, et tente notamment de réduire de 50% les coûts du captage. «Rien n’est gagné pour le moment, il nous reste encore à convaincre les créanciers de la viabilité du projet afin qu’ils financent la construction de centrales pilotes», explique Nils Anders Røkke, coordinateur de Dynamis au sein du Sintef, un institut de recherche indépendant norvégien. «Certains écueils technologiques barrent encore la route vers cette génération d’énergie propre, en particulier le fait qu’il n’existe encore aucune turbine capable de fonctionner à 100% à l’hydrogène.»
Beaucoup moins avancée du point de vue technologique que les deux méthodes précédentes, l’oxycombustion permet de générer une fumée d’échappement très concentrée en CO2. Il suffit de brûler le carburant dans de l’oxygène pur et non dans de l’air afin d’obtenir une fumée concentrée à plus de 90% en CO2, qui peut donc être directement captée telle quelle. Le procédé reste toutefois encore trop onéreux car la production d’oxygène pur requiert de grandes quantités d’énergie.
Enfouir le CO2 sous terre
«Pas de captage sans stockage», rappelle judicieusement Nils Anders Røkke. En effet, rien ne sert de capter le CO2 si on ne sait où l’entreposer. «Le hic, c’est qu’il est impossible d’éprouver la viabilité d’un procédé sur des centaines, voire des milliers d’années. Les études se concentrent donc sur l’analyse de stockages géologiques naturels, où le CO2 est emprisonné depuis des millions d’années, ainsi que sur l’observation et l’étude des stockages industriels existants, puis l’extrapolation des données récoltées dans le cadre de ces projets à l’aide de modèles numériques prédictifs», précise Pierre Le Thiez.
Le stockage océanique (1) et la séquestration minérale (2) ne sont actuellement plus considérés comme des solutions viables de stockage, car elles présentent trop de désavantages en comparaison du stockage géologique. Celui-ci consiste à injecter le CO2 dans l’espace intergranulaire des roches poreuses et perméables, formations géologiques présentes un peu partout dans le monde. Ces couches sédimentaires profondes s’étendent parfois sur des centaines voire des milliers de kilomètres et sont généralement remplies d’eau salée, d’où leur nom d’aquifères salins. À l’état naturel, ils renferment parfois des gisements de CO2, ce qui a amené l’idée d’en injecter. Expérience notamment réalisée depuis 1996 par la société norvégienne Statoil sur le site de Sleipner (NO) en Mer du Nord et qui s’avère extrêmement convaincante jusqu’à ce jour.
Un stockage rentable?
Les aquifères salins peuvent également comporter des structures «piégeantes» renfermant du méthane ou du pétrole. On peut donc rentabiliser le stockage en injectant du CO2 dans des gisements presque épuisés, pour les re-pressuriser et en extraire l’or noir ou le gaz naturel résiduel. Cette technique de «récupération assistée par injection de CO2» est maitrisée depuis plusieurs dizaines d’années par l’industrie pétrolière et pourrait également s’appliquer aux veines de charbon inexploitables, autres candidats à la séquestration de carbone.
Cependant, selon Pierre Le Thiez, ces procédés de récupération assistée, tant dans les anciens gisements que dans les veines de charbon inexploitables, perdent une partie de leur intérêt. «Beaucoup de ces réservoirs sont en effet généralement trop petits et, dans le cas des gisements de pétrole et de gaz, ont bien souvent été percés de nombreux puits lors de leur exploitation, ce qui pose des problèmes d’étanchéité. De ce fait, les aquifères salins représentent à mon sens la solution de stockage géologique la plus viable.»
Le temps presse pour l’implantation de systèmes de réduction des émissions de CO2 tels que le CSC. Les centrales électriques génèrent en effet aujourd’hui 40% des émissions mondiales. Et le CSC pourrait aussi être appliqué aux industries où le charbon et le gaz sont utilisés comme principaux carburants. Une question de moyens, selon Nils Anders Røkke: «La reconnaissance politique du réchauffement climatique a effectivement catalysé un intérêt croissant pour le captage du CO2, ce qui se traduit par une augmentation des financements consacrés aux recherches. Mais les moyens manquent encore cruellement pour mettre au point ces techniques aussi rapidement qu’il le faudrait.»
Julie Van Rossom
- Les océans sont des puits naturels de carbone. Mais ils semblent déjà saturés par le CO2 atmosphérique qui, de plus, augmente leur acidité.
- On accélère la carbonatation minérale, un processus naturel de formation des roches carbonatées. La technique reste très coûteuse.
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