De DinotoxtrA |
Quand il y a quelques années fut lancé dans les médias le projet de cloner un mammouth, des scientifiques objectèrent seulement que l’ADN risquait de ne pas être en assez bon état, admettant ainsi que le mammouth, comme l’abeille, le maïs ou l’homme, serait réductible à son génome. Puisque des chercheurs viennent de reconstituer la presque totalité (80 %) du génome de cette espèce disparue (ne pinaillons pas sur les 20 % d’ADN qui manquent encore) le clonage du mammouth en devient-il réalisable ? Dans la revue qui rapporte l’exploit technique des généticiens (Nature, 20 novembre 2008), le journaliste scientifique Henry Nicholls analyse ce qu’il reste à réussir pour voir gambader dans nos champs des petits mammouths (Let’s make a mammoth), une chaîne de performances assez improbable car pour faire revivre (ou seulement vivre) un animal il faut mettre en jeu beaucoup plus que son ADN. Nicholls ne nie pas les difficultés afférentes à chaque étape mais, conformément à l’aliénation de la science par la génétique, l’enjeu se réduirait à la transmission de la molécule sacrée au sein d’un être vivant. Suivons le montage qui propose d’introduire le génome de ce pachyderme dans un ovule d’éléphante.
Phase 1 : assembler les fragments d’ADN en chromosomes. Pour cela il suffit d’admettre d’abord que le mammouth avait le même nombre de chromosomes que l’éléphant (soit 56) puis que l’attribution de chaque élément d’ADN à un chromosome déterminé est indifférente, comme si la position d’un gène n’influençait pas son activité. De plus, comme l’avait prévu Michael Crichton pour les dinosaures de Jurassic Park, on devrait oublier le chromosome Y, et donc la création de mâles, car ce chromosome petit et répétitif est très difficile à reconstituer. Même chose pour les centromères chromosomiques, régulateurs indispensables de la division cellulaire. No problem : on fera des centromères artificiels !
Phase 2 : construire un «noyau de mammouth». En ajoutant des protéines d’ovules de crapaud à l’ADN de mammouth, on obtiendrait la chromatine nécessaire pour constituer les chromosomes et aussi pour former une membrane nucléaire autour de cette mixture. Super ! D’autant que lors de l’incubation ultérieure de ce noyau mammouth-crapaud dans un ovule d’éléphante (voir plus loin), les protéines crapaudes devraient être remplacées par des protéines éléphantines… Ainsi la bave de crapaud n’atteindrait pas la blanche éléphante. Mais cette nouvelle mixture permettrait-elle le fonctionnement normal du génome de mammouth ?
Phase 3 : obtenir des ovules d’éléphant. L’éléphante produit un ovule tous les quatre mois (durée du cycle ovarien) mais il n’y a que quelques cycles tous les 5-6 ans (dans l’intervalle des périodes de gestation lactation). De plus, pour recueillir cet ovule rarissime, les techniques au point chez les autres mammifères (dont notre espèce) sont inadaptées car, indique un zoologiste de Berlin, les ovaires sont situés trop profondément… D’où l’idée géniale de transplanter du tissu ovarien d’une éléphante décédée dans un ovaire de souris dont on inhiberait les défenses immunitaires, non sans avoir supprimé aussi son hypophyse afin de pouvoir impulser, par injection d’hormones, des cycles comparables à ceux de l’éléphante chez cette souris très bricolée. Une souris qui accouche d’un œuf d’éléphant, fastoche ? Pas vraiment mais un expert états-unien indique que «ce n’est pas parce que c’est difficile aujourd’hui qu’on n’y arrivera pas». Qui oserait le contredire ?
Phase 4 : transférer le noyau de mammouth dans l’ovule d’éléphante («clonage»). Le transfert du noyau reconstruit dans l’ovule d’éléphante (technique abusivement dénommée clonage) risque d’être délicat si on considère la rareté des ovules receveurs et les échecs fréquents de cette technique chez les autres mammifères. Pourtant un spécialiste de biologie régénérative du Connecticut explique qu’«il est raisonnable de penser que ça va s’arranger». Surtout si on tient compte d’une manip astucieuse : pourvu qu’on obtienne un début d’embryon, ses cellules souches pourraient servir à construire une chimère en étant injectées dans un vrai embryon d’éléphant (ça aussi pas facile à obtenir). Une fois née, cette créature mixte composée de cellules «pures» d’éléphant et de cellules «pures» de mammouth générerait des ovules ou des spermatozoïdes des deux espèces si bien qu’on disposerait de gamètes pur-sang mammouth pour pratiquer une vraie fécondation «pure mammouth» ! A noter que c’est la seule occasion pour le commentateur d’évoquer une «chimère» alors que depuis le début de l’opération il n’était que chimères (les chromosomes, le noyau ou l’œuf cloné) pourvu que la mystique généticienne ne réserve pas ce terme au mélange des ADN mais qu’on l’applique aussi au mélange d’autres éléments vitaux d’espèces différentes.
Phase 5 : transplanter l’embryon dans l’utérus d’une éléphante. On n’a jamais réussi à introduire un embryon dans l’utérus d’une éléphante mais le zoologiste berlinois que c’est possible. Pourvu d’avoir le bras long puisque l’utérus est à 2,5 mètres de l’orifice vaginal. Concernant la gestation, Nicholls se réjouit que, le mammouth laineux étant plus petit que l’éléphant, il n’y aurait pas de problème obstétrical. Aucune évocation d’un rejet éventuel ou de l’incompatibilité biologique entre l’«embryon de mammouth» et la matrice hôte, celle de l’éléphante. Certainement parce que l’ADN a été institué comme référence transcendantale en biologie, et que cette molécule chimique recèle un code œcuménique.
Phase 6 : faire naître la chose. Et après ? Si toutes ces manipulations réussissaient, on devrait obtenir une bestiole dans laquelle une maman mammouth ne reconnaîtrait pas son petit. Mais il serait insuffisant d’obtenir un seul spécimen si le but est de recréer l’espèce. Des individus des deux sexes seraient nécessaires (or la génération de mâles est, nous l’avons évoqué, bien plus problématique encore que celle de femelles) et ces individus devraient avoir des génomes variés pour créer une diversité viable au sein de l’espèce (or on ne dispose pas des variants génétiques nécessaires). Enfin, une dernière difficulté serait de fournir à ces animaux ressuscités l’écosystème qui leur conviendrait. Bien sûr, le journaliste reconnaît que toutes ces étapes posent aujourd’hui des entraves au projet de cloner le mammouth, mais il estime que cela pourrait (devrait) devenir faisable. Faisant remarquer que le séquençage des génomes n’a commencé qu’au moment où Crichton écrivait Jurassic Park (1990), il s’extasie : «Et regardez comme on a énormément progressé depuis !» Il ajoute que «le clonage d’un mammifère passait pour impossible il y a quinze ans» sans considérer qu’il demeure impossible à ce jour, sauf à confondre le bouturage du matériel génétique avec la reproduction à l’identique d’un individu. C’est-à-dire en réduisant les êtres vivants à leur ADN, comme le veut la biologie synthétique et comme il est démontré tout au long de ce jeu de construction chimérique.
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