Unique. Mariage entre le moût du raisin et un cognac jeune, le pineau des Charentes associe la suavité de l'un à l'ardeur de l'autre pour donner naissanceà un savoureux mélange.
L'histoire du pineau des Charentes mérite d'être contée. En 1589, un producteur de Burie, commune située entre Saintes et Cognac, dans les Borderies, stocke son moût de raisin dans un fût, comme cela se faisait autrefois, pour le laisser fermenter. Il ne se souvenait pas que le fût contenait un fond d'alcool, solide tradition locale. Quelques années plus tard, une récolte abondante nécessitait l'utilisation de tous les contenants disponibles, dont ce fameux fût oublié. Le contenu se révéla extraordinaire, alors qu'il pensait qu'il s'agissait, au mieux, de vinaigre. Le nom de ce producteur étourdi est passé à la postérité : il s'appelait Pineau.
Cette belle histoire décrit bien le pineau des Charentes, alliance improbable de moût de raisin et de cognac. Improbable, parce qu'il n'est pas dans la tradition de mélanger un produit distillé avec un produit fermenté. Si la fermentation est connue depuis au moins 10 000 ans, on attribue généralement l'invention de l'alambic moderne à Abu al-Qasim, un chirurgien arabe mort à Cordoue en 1013. Alambic comme alcool sont deux mots qui, d'ailleurs, proviennent de l'arabe (al inbic signifie «vase à distiller»). Mais le principe de la distillation est bien plus vieux. Les fleurs sont distillées pour en faire du parfum depuis plus de 5 000 ans et la distillation alcoolique est connue depuis à peu près autant de temps en Mésopotamie.
Cette alliance contre nature nécessite un peu de temps pour s'harmoniser, quoique le sucre du moût masque bien des faiblesses. «La loi impose au moins dix-huit mois, dont douze mois au minimum en bois de chêne, pour le pineau blanc, mais nous les laissons plutôt quatre ans pour notre entrée de gamme», précise Gyl Richard, producteur à Échebrune. Ce vieillissement est non seulement indispensable, mais c'est lui qui donne toute sa noblesse au pineau. Les mentions «vieux» et «extra-vieux» nécessitent des vieillissements respectifs sous bois de cinq et dix ans minimum. L'âge tempère et même estompe la «sucrosité» tout en libérant sa complexité.
Le pineau rentre dans la famille des mistelles, ce mot vient de l'italien misto qui veut dire «mélangé» ou «mixte». Dans cette catégorie, il côtoie avec plus ou moins de bonheur le floc de Gascogne (à base d'armagnac), le ratafia en Champagne et en Bourgogne, le macvin dans le Jura, le pommeau de Normandie (à base de calvados) et la carthagène du Languedoc, voire la catarèse de Béziers. Pour la petite histoire, les mistelles n'ont rien à voir avec les vins doux naturels où l'alcool est rajouté dans un moût déjà largement fermenté.
Une mesure sage
Si, pendant longtemps, le pineau des Charentes était exclusivement blanc, il se décline désormais en rosé et même, depuis peu, en rouge. Sont-ils élaborés avec du pinot ? Pas du tout, le pinot est un faux ami et il n'y a nulle trace de pinot dans le pineau. Pour l'élaboration du cognac, l'ugni blanc, appelé trebbiano en Italie, est très largement utilisé, avec parfois de la folle-blanche, le terroir calcaire de la région lui donnant à la fois de l'acidité et de l'élégance. La liberté étant bien plus grande pour le moût. «J'utilise le merlot et le cabernet pour le rouge, du sémillon et du sauvignon pour le blanc, entre autres, avec de longs vieillissements», précise Christian Babinot, par ailleurs célèbre pour sa splendide collection de sécateurs.
Pour pouvoir être producteur de pineau, il faut obligatoirement être producteur de cognac et, de surcroît, moût et cognac doivent provenir de la même propriété, ce qui exclut de facto les petits malins qui s'amuseraient à acheter l'un et l'autre sur le marché pour faire leur propre assemblage. Cette mesure est sage, car s'il est relativement aisé de transporter de l'alcool, en dehors du contexte réglementaire, le transport de moût exige plus de précautions, car il n'a qu'une envie : fermenter. Heureusement, le décret de l'appellation du 12 octobre 1945 vieille au grain !
Résultat, le pineau est élaboré par de petites exploitations individuelles qui vendent leurs propres productions, aux côtés de leur cognac. D'ailleurs, les deux vivent leurs vies parallèles. Si le cognac est, depuis longtemps, une star internationale, le pineau reste d'abord sur le marché français. Le quart de la production est exporté prioritairement en Belgique, qui en absorbe 80 %, suivie du Canada. Quand le cognac se vend bien, le producteur élabore moins de pineau, et inversement. «Tous les ans, je réserve 15 hl de cognac sur les 200 que je produis, ce qui me fait, bon an, mal an, 60 hl de pineau», précise Gyl Richard.
Le pineau se consomme majoritairement à l'apéritif, mais son utilisation est bien plus large. «Je m'en sers pour le canard à l'orange ou le pigeon et bien d'autres plats», précise Élisabeth de Meurville, l'auteur du guide annuel Le Guide des gourmands, un guide qui recense les meilleurs produits de l'Hexagone et même un peu plus loin. Le site Internet du Comité du pineau donne d'ailleurs un bel éventail de recettes. Et elle précise, presque vindicative : «Ne servez surtout pas le pineau sur le melon ! Ni l'un ni l'autre ne s'en sortent…» Le mot tabou est lâché. La détestable habitude des Français à inonder leur (mauvais) melon de pineau a totalement dénaturé cette superbe mistelle.source.
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