dimanche 8 mars 2009

Darwin: Adaptation entre deux mileu en direct live


© CNRS/Romain Gallet

Colonies sur boite de Pétri de Pseudomonas fluorescens, de droite à gauche, les morphes SM, FS et WS.




Observer les mécanismes de l'évolution, afin de comprendre comment une espèce s'adapte à une autre dans divers contextes écologiques : c'est le but des chercheurs du laboratoire Écologie et évolution du CNRS, de l'Université Pierre et Marie Curie et de l'École normale supérieure. Ils ont étudié deux bactéries ― un prédateur et une proie ― sur 300 générations, dans un environnement contrôlé. Pour la première fois, les chercheurs ont montré que le processus de co-évolution dépend des conditions environnementales. En effet, dans certaines conditions, la proie devient résistante au prédateur, qui lui-même évolue pour être capable d'attaquer cette nouvelle proie. En outre, les chercheurs mettent en garde contre l'utilisation un temps envisagée du prédateur (Bdellovibrio bacteriovorus) comme « antibiotique vivant », qui risquerait d'entraîner, comme les autres antibiotiques, la sélection de bactéries pathogènes résistantes.


Depuis la publication de L'origine des espèces, de Charles Darwin, il y a 150 ans, on sait que l'un des moteurs de l'évolution est la sélection naturelle. Le résultat de cette sélection dépend des conditions environnementales et des interactions entre espèces (compétition, prédation, parasitisme, coopération). Il y a une vingtaine d'années, un nouveau champ de recherches apparaît, l'évolution expérimentale, qui va permettre aux scientifiques de mieux comprendre les mécanismes de l'évolution. Il s'agit par exemple de cultiver des populations de bactéries dans des conditions bien contrôlées, sur un grand nombre de génération. Ces populations sont composées de nombreux individus au départ identiques sur le plan génétique. Chez les bactéries, le renouvellement des générations étant très rapide, quelques mois suffisent pour observer l'émergence de nombreux mutants, à l'origine de lignées génétiquement différentes. Au lieu d'avoir à reconstituer le passé, les scientifiques sont désormais les témoins directs de l'apparition de nouvelles espèces (1).

Les chercheurs du laboratoire Écologie et évolution ont utilisé ce type d'expérience pour comprendre comment l'environnement influe sur l'évolution d'un couple de bactéries. L'une est le prédateur, , et l'autre est la proie Pseudomonas fluorescens. Le prédateur pénètre dans la proie et la tue en la consommant de l'intérieur. C'est une bactérie assez répandue, que des chercheurs anglais (2) avaient proposé d'utiliser comme « antibiotique vivant ». La proie, elle, possède une grande capacité d'adaptation : cultivée en milieu liquide dans une bouteille non agitée, elle donne naissance à deux nouvelles formes (ou espèces) qui occupent chacune une niche écologique : WS (wrinkly spreader morph) forme un biofilm à la surface du milieu nutritif et FS (Fuzzy spreader morph) vit au fond de la bouteille pauvre en oxygène. SM (ancestral smooth morph), la forme initiale, occupe la phase liquide du milieu nutritif riche en oxygène. Chaque espèce forme des colonies d'aspect différent permettant de suivre la diversification des populations.


Dans leur expérience, les chercheurs ont travaillé sur 36 populations de P. fluorescens, cultivées dans un milieu liquide et enfermées dans 36 bouteilles constamment agitées. Ils ont introduit le prédateur dans la moitié des bouteilles. À intervalles de temps réguliers (2, 3 ou 4 jours), une fraction de chacune des populations (1 pour cent ou 0,1 pour cent) est prélevée puis inoculée dans une nouvelle bouteille remplie de milieu de culture frais. Ces transferts simulent une perturbation environnementale. On peut les comparer à une tempête qui ravagerait une forêt. Elle abat les grands arbres, mais permet à d'autres espèces du sous-bois de se développer. En faisant varier la fréquence et l'intensité des tempêtes, on privilégie certaines espèces par rapport à d'autres, ce qui entraîne soit le maintien de la biodiversité, soit au contraire la prolifération de certaines espèces. Dans leur expérience, en faisant varier la fréquence et l'intensité des transferts, les chercheurs simulent six conditions environnementales différentes. Ils ont réalisé 20 transferts successifs (correspondant à 300 générations) au cours desquels, ils ont conservés les prédateurs et les proies par congélation, leur permettant par exemple de tester l'efficacité des prédateurs après évolution sur les proies ancêtres, ou inversement. En « manipulant » ainsi le temps, ils ont suivi l'évolution de l'efficacité des prédateurs et de la résistance des proies.


À la fin de l'expérience, dans les bouteilles sans prédateur, seule la proie SM est présente : il n'y a pas eu d'apparition de nouvelle espèce. Dans les autres bouteilles, la présence du prédateur entraîne la sélection naturelle de proies résistantes au prédateur : il y a donc évolution de la proie. On constate l'apparition de plusieurs types de proies résistantes, de forme SM, FS et WS. Les WS se collent aux parois, se transfèrent mal et finissent par disparaître de l'expérience. Les SM poussent plus vite que les FS, mais sont moins résistantes au prédateur. En fonction des conditions de transfert, c'est l'une ou l'autre qui est sélectionnée. Le prédateur évolue également. Il est capable de s'adapter aux proies résistantes FS, mais pas aux proies résistantes SM. Les raisons qui rendent les proies résistantes ou les prédateurs capables de les attaquer à nouveau restent mal comprises. Le séquençage du génome de ces bactéries permettrait probablement de comprendre les mécanismes sous-jacents. Quoi qu'il en soit, pour la première fois, les chercheurs ont montré que la co-évolution de la proie et du prédateur n'est pas systématique, mais dépend du type de résistance de la proie, elle-même sélectionnée par les conditions environnementales. Au final, c'est l'environnement qui détermine s'il y aura co-évolution ou pas.





D'autre part, plutôt que d'utiliser une molécule antibiotique, deux chercheurs anglais avaient proposé il y a quelques années d'utiliser B. bacteriovorus, le prédateur, pour tuer les bactéries qui nous rendent malades. Ces chercheurs pensaient qu'aucun bacille (un groupe de bactéries auquel appartient la proie P. fluorescens) ne pouvait développer de résistance à ce prédateur. L'expérience montre le contraire. Au vu des résultats, l'utilisation du prédateur bactérien comme antibiotique vivant risquerait d'entraîner la sélection de souches bactériennes résistantes à ce prédateur. Il n'y aurait pas nécessairement plus d'avantage qu'une thérapie antibiotique chimique classique.
source.

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