vendredi 5 décembre 2008

Notre aieul universel

DINotoxtrA, la mémoire de l'Histoire des Hommes

Luca naquit-il dans des chaleurs infernales ou des températures tempérées ? Les biologistes penchaient pour le très chaud, pas loin de l’eau bouillante. Ils le voient désormais naître dans un environnement moins chaud - inférieur à 60 °C - selon un article paru la semaine dernière dans Nature (1).

Question au fond de la salle : et qui c’est Luca ? Luca, c’est notre ancêtre à tous. Vraiment à tous. Pas seulement aux vaches et aux hommes, ni même aux fourmis et aux myosotis, ni aux champignons et aux amibes… à tous. Tous les êtres vivants, que leurs gènes soient groupés en un noyau (les eucaryotes), ou non, comme chez les bactéries et les archées, soit les trois grandes branches de la vie selon les évolutionnistes. Or, comme le pressentaient Lamarck ou Darwin, ils ont un ancêtre commun. Même si d’autres sortes de vie sont apparues, à la même époque, elles n’ont pas eu de descendance.

Unité du vivant. Luca n’est donc pas la «première cellule», mais la dernière, que tous les êtres vivants actuels partagent comme ancêtre. C’est de lui que provient l’unité profonde du vivant : mêmes macromolécules biologiques, même machinerie de synthèse des protéines, même code génétique. Les évolutionnistes l’ont baptisé Luca, pour Last Universal Common Ancestor. Un joli nom, inventé lors d’un colloque de la fondation des Treilles en 1996, et dont la presque homophonie avec Lucy (l’Australopithèque encore perçu comme l’ancêtre des hommes, même si elle relève plutôt d’une parenté latérale) a favorisé le succès médiatique.

D’accord sur le nom, les biologistes se disputent pour savoir à quoi Luca ressemblait. Son génome était-il formé d’ARN ou d’ADN ? Se distinguait-il de l’extérieur avec une membrane cytoplasmique (le consensus actuel pencherait plutôt vers le oui) ? Quel rôle les virus ont-ils joué dans cette histoire ? Peut-on faire la liste des protéines universelles, celle qu’il possédait nécessairement, puisqu’elles sont partagées par tous les êtres (entre 60 et 80) ? Toutes questions pendantes. Mais une autre a fait l’objet d’une curieuse évolution de la pensée. Quelle température régnait-il lors de son apparition, dans les océans de l’ère archéenne, il y a plus de 3,7 milliards d’années ?

Hyperthermophiles. Les eucaryotes ne supportent pas de températures supérieures à 60 °C. En revanche, chez les bactéries et les archées (baptisées lors de leur découverte archébactéries, parce que l’on pensait avoir mis le microscope sur l’équivalent de bactéries «primitives»), on trouve des hyperthermophiles qui adorent l’eau bouillante (entre 80 et 110 °C). En outre, les archées hyperthermophiles résistent bien aux radiations. Très tentant d’en faire une caractéristique de Luca, dans les océans chauds de la Terre primitive. Dans ce débat, Patrick Forterre, aujourd’hui directeur du département de microbiologie à l’Institut Pasteur, défendait alors l’idée inverse : l’hyperthermophilie qui proviendrait d’une adaptation ultérieure à l’environnement.

L’étude publiée dans Nature tranche ce débat de manière inattendue et solide. Manolo Gouy (laboratoire de biométrie et biologie évolutive, CNRS/université Lyon-I) leader de l’équipe, la résume ainsi : «Oui, Luca vivait dans des eaux inférieures à 60 °C… Mais ses descendants directs ont affronté un coup de chaud brutal qui a éradiqué toutes les formes de vie, incapables de s’adapter à des températures supérieures à 70 °C. Puis, le refroidissement des océans a permis aux formes de vie qui ne les supportaient pas de se déployer.»

Controverse de vingt ans. Ce résultat majeur, qui résout une controverse scientifique de vingt ans, est fondé sur la mise au point d’un «thermomètre moléculaire» précis. Mais surtout, sur une méthode nouvelle, qui permet de découvrir des évolutions en sens inverse - du chaud au froid puis du froid au chaud -, alors que les méthodes antérieures supposaient que l’évolution ne pouvait se faire que dans un seul sens. Plus souple, elle a réconcilié les résultats contradictoires antérieurs, un atout majeur en science.

Reste une question décisive : quand cet épisode infernal s’est-il produit ? Cela permettrait de préciser la date à laquelle Luca a vécu. Pour ces dates, Manolo Gouy donne sa langue au chat. Les techniques moléculaires et informatiques utilisées donnent accès à la chronologie de façon relative mais pas absolue. Pour cela, il faut se tourner vers les géologues

(1) Bastien Bousset et al. Nature du 27 novembre 2008
source:libération

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