lundi 15 décembre 2008

La fin de General Motors

«Nous le reconnaissons: nous vous avons déçus. Par moments, nous avons abusé de votre confiance en laissant notre qualité tomber sous les standards de l'industrie et notre design devenir terne. Nous avons multiplié nos marques et nos réseaux de vente au point de perdre de vue les désirs du marché américain. Nous avons aussi trop tiré notre gamme de produits vers les 4x4...»

Paru dans la publication spécialisée Automotive News, ce mea culpa de General Motors est d'autant plus spectaculaire que ce groupe centenaire était jusqu'ici connu pour son arrogante confiance. L'excuse est à la mesure de la chute brutale de GM, qui avait alors (c'était le 8 décembre) besoin de 4 milliards de dollars pour finir l'année, et de 4 autres pour survivre jusqu'à la mi-janvier.
De DinotoxtrA

Il était un temps où la Générale des moteurs était la plus grande compagnie au monde, celle qui comptait le plus grand nombre d'employés (853000 personnes en 1979) et produisait le plus grand nombre de voitures. En un siècle, GM a mis en circulation près d'un demi-milliard de véhicules, en temps de paix ou de guerre, aux Etats-Unis comme en Europe, Asie, Amérique du Sud ou Australie. Née il y a 100 ans, la Générale des moteurs a été la plus puissante compagnie au monde. A ses débuts, elle a failli disparaître à plusieurs reprises. Pour les mêmes raisons qui la menacent aujourd'hui.

Voir sur la Lune. GM était le N° 1 absolu de l'automobile. Il l'est encore, jusqu'aux dernières nouvelles, malgré sa culbute dans l'abime de la crise. Rien que ce fait-là, cette place encore conservée donne une idée de ce qu'était la société créée le 16 septembre 1908 par l'entrepreneur William Durant.

Les premières années du colosse ont été très agitées, GM manquant à plusieurs reprises de disparaitre. Les raisons qui menaçaient le groupe il y a un siècle sont d'ailleurs, peu ou prou, les mêmes qui le mettent aujourd'hui en danger de mort. Soit une trop grande diversification des marques et des modèles, William Durant ayant compris très vite qu'il suffisait de désosser une Buick et de la rallonger pour créer ni vu ni connu une Oldsmobile. Soit aussi une tendance à dépenser trop, à trop écouter les actionnaires, à négliger les stratégies à long terme au profit des retours rapides sur investissements.

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Tout est bien parti, pourtant. Fabricant prospère de fiacres à Flint, dans le Michigan, William Durant pressent au tournant des XIXe et XXesiècles que l'automobile remplacera bientôt l'hippomobile. Il prend le contrôle de la marque Buick en 1904 et profite de la crise économique de 1907 pour avaler une myriade de petites entreprises de moteurs. L'année suivante, la nouvelle General Motors se lance à la conquête des Etats-Unis, puis du monde, absorbant Oldsmobile, Cadillac, des marques qui allaient bientôt s'appeler Pontiac ou GMC, les allumages Champion, les bougies AC, etc.

Mais GM croule vite sous les dettes. En 1910, les banques débarquent William Durant sans ménagement. Celui-ci rumine sa vengeance et l'aura bientôt. Tirant parti de la réputation aux Etats-Unis d'un coureur automobile de l'époque, le Neuchâtelois Louis Chevrolet, William Durant fonde avec lui une marque de voitures. Chevrolet connaît rapidement le succès, notamment grâce au modèle 499. Si bien que Durant peut reprendre le contrôle de GM en 1916, intégrant son nouveau joyau Chevrolet au groupe de Detroit. Celui-ci participe à l'effort de guerre, de 1917 à 1919, avec une production massive de camions. Repris par ses démons dispendieux, William Durant est définitivement éjecté en 1920. Il finira gérant de salles de bowling après avoir connu plusieurs faillites personnelles.

C'est un ingénieur, pur produit du Massachusetts Institute of Technology, qui donne l'impulsion nécessaire à la future hégémonie mondiale de GM. Alfred Sloan prend le contre-pied de Henry Ford, qui estimait que le bon calcul automobile était de produire en masse un seul type de voiture, en l'occurrence la FordT («Et vous pouvez l'avoir en n'importe quelle couleur, pourvu que ce soit du noir», ajoutait Henry Ford). Alfred Sloan pense au contraire qu'il faut «une voiture pour chaque bourse et chaque utilisation». Sous son long règne, GM se transforme en roi Midas.

General absorbe le britannique Vauxhall en 1925, l'allemand Opel en 1929, s'installe en Chine, en Europe, au Brésil, en Argentine, partout. Dans les années 1930, de violentes et longues grèves dans les usines du Michigan mènent à la création du puissant syndicat des travailleurs de l'automobile. Sloan sent également que l'automobile est en passe de changer de statut, qu'elle est bien davantage qu'une boîte carrée destinée à se déplacer du point A au point B. En 1927, le styliste Harley Earl dessine la magnifique Cadillac LaSalle, tout en élancements, avant de diriger le centre de design du groupe, premier du genre.

Dès 1935, alors que la direction de GM Europe est installée à Genève (elle est aujourd'hui à Zurich), le constructeur de Detroit lance une production de voitures à Bienne. L'usine perdurera jusqu'en 1975.

Lorsqu'éclate la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il sort le vingt-cinq millionième véhicule depuis sa création, GM tient plus de 40% du marché automobile américain. Roosevelt nomme le président de la compagnie, William Knudsen, au poste de manager de la production de matériel de guerre. GM reconvertit l'entier de son appareil productif en fabrique de bombardiers, de tanks, de véhicules, de moteurs diesel pour la marine, d'armes lourdes, de bombes. C'est la plus grosse reconversion industrielle de l'histoire. Son souvenir résonne encore: l'autre jour dans le New York Times, le général Wesley Clark, ex-commandant en chef des forces de l'OTAN, expliquait que la survie de GM était aussi un enjeu de sécurité nationale. L'argument, peu mis en évidence jusqu'ici, a dû être entendu à Washington.

Pour GM, l'après-guerre est faste. Les Chevrolet, Buick ou Oldsmobile extravagantes expriment l'embellie économique et l'American way of life. Tant pis si le groupe est pris en flagrant délit d'achat de compagnies américaines de tramways pour les remplacer par ses propres bus. Rien ne freine la machine.

En 1954, GM fabrique sa cinquante millionième voiture. Six ans plus tard, sa part de marché aux Etats-Unis frise les 60% (22% aujourd'hui). En 1960 toujours, en réaction à l'apparition sur le sol américain des petites voitures européennes, le groupe sort la Chevrolet Corvair. Sa conception est si épouvantable que l'avocat Ralph Nader sort un livre, Dangereuse à n'importe quelle vitesse, qui incite le Congrès à s'intéresser aux normes de sécurité automobile.

Malgré son conformisme, GM reste alors un partisan de l'innovation, à laquelle il alloue des budgets considérables. On lui doit la généralisation du démarreur électrique (1911), des freins sur les quatre roues (1923), de la boîte automatique (1939), de la climatisation (1953), du moteur V8 (1955), des moteurs à essence sans plomb (1971), de l'airbag (1973), du pot catalytique (1974)... GM accompagne la conquête de la Lune, fournissant à la NASA le système de navigation d'Apollo XI, ainsi que la voiture lunaire, coopération avec Boeing.

Dans les années 1960, les unités de recherche de GM sont les premières à vraiment mettre sur la route des véhicules à pile à combustible et à motorisations hybrides, y compris les versions rechargeables. Si elle avait été poursuivie, cette exploration technique systématique aurait fait prendre une avance considérable à GM, lui évitant notamment l'humiliation infligée par la Prius hybride de Toyota. De même, GM a lancé en 1996 une voiture électrique révolutionnaire, l'EV1, avant de l'enterrer trois ans plus tard. Les raisons officielles du renoncement étaient que la demande du public était trop faible et que ce programme électrique était trop onéreux. Les raisons réelles étaient plus tordues, comme l'a montré en 2006 le documentaire de Chris Paine, Who killed the electric car? Du lobby du pétrole au gouvernement américain, et même chez GM, personne n'avait vraiment intérêt à voir réussir une technologie propre qui se passe d'hydrocarbures.

Dirigé depuis des générations par des financiers, et non plus des techniciens comme au temps de Sloan, GM s'est concentré sur le court terme. La stratégie du «Donner aux gens le produit qu'ils veulent, tout de suite» lui a rapporté des milliards de dollars dans les années 1990, lorsque GM a essaimé ses pesants 4x4. Alors qu'il achetait le constructeur de véhicules militaires Hummer et le suédois Saab, GM transformait ses usines américaines pour assembler plus vite les monstres dont la marge bénéficiaire oscillait entre 10000 et 15000 dollars à l'unité. Les employés étaient bien payés, leur assurance maladie et leur retraite largement garanties par le bon géant.

L'état de grâce a duré un peu plus d'une décennie. Dès 2004, les ventes de «SUV» et trucks ont commencé à reculer. Puis le prix de l'essence s'est envolé, la crise financière a éclaté, et GM s'est retrouvé avec une armée de 4x4 invendus, des usines incapables de se reconvertir dans la fabrication de petits véhicules, et ses énormes charges sociales. Il brandit aujourd'hui sa vertueuse Volt, un prototype de véhicule électrique à autonomie étendue, comme preuve de sa bonne volonté verte. Il est vrai que le concept de cette voiture hybride rechargeable est prometteur. Mais elle sera onéreuse (plus de 35000 dollars) et produite dès la fin 2010 seulement en petites quantités, tout au moins dans un premier temps. La Volt ne sauvera pas GM. Celui-ci devra se réinventer en profondeur. Ou disparaître comme un grand saurien à la fin du crétacé.
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