mercredi 8 octobre 2008
Séquencage de l'ADN d'un homme de Neandertal.
Pour la première fois, deux équipes scientifiques ont réussi à séquencer une partie de l'ADN d'un homme de Neandertal. Leurs conclusions sont concordantes : notre proche cousin s'est séparé génétiquement de nous il y a environ 500 000 ans. Et n'a vraisemblablement plus eu d'échange génétique avec notre espèce depuis cette époque.
Le génome enfin accessible
Durant des centaines de milliers d'années, l'homme de Neandertal (Homo neanderthalensis) a vécu tranquillement en Europe et en Asie occidentale avant de recevoir la visite, il y a environ 40 000 ans, de l'homme moderne (Homo sapiens) qui arrivait d'Afrique.
À quoi ressemblait-il ? Les deux espèces se sont-elles croisées ? Et pourquoi a-t-il subitement disparu il y a 28 000 ans ? Depuis sa découverte en 1856 dans la vallée de Neander (près de Düsseldorf en Allemagne), l'homme de Neandertal n'a cessé de nous interroger.
Les travaux que viennent de publier simultanément Nature et Science* n'entendent pas apporter de réponses immédiates à ces questionnements, mais ils marquent néanmoins un pas décisif dans la compréhension de notre proche cousin. Deux groupes de recherche indépendants, dirigés respectivement par Svante Pääbo (Institut Max Planck à Leipzig, Allemagne) et Edward Rubin (Joint Genome Insitute, Walnut Creek, Californie) viennent en effet de réaliser pour la première fois un séquençage partiel de l'ADN provenant d'un Néandertalien de 38 000 ans retrouvé en 1980 dans la grotte de Vindija près de Zagreb (Croatie).
« Jusqu'à présent, les études génétiques sur Neandertal avaient été menées à partir d'ADN mitochondrial, note Jean-Jacques Hublin, paléoanthropologue à l'institut Max Planck de Leipzig (Allemagne) . Ce matériel est relativement abondant dans les ossements mais n'apporte des informations que sur la filiation des individus. Ici, nous avons pour la première fois accès à l'ADN nucléaire, c'est-à-dire à l'ADN contenu dans le noyau de la cellule et renfermant les informations sur les caractères. C'est tout simplement formidable ! »
Un matériel génétique fragile et rare
Il y a encore quelques années, l'idée même que l'on puisse un jour accéder à ce matériel génétique paraissait inconcevable. L'ADN est une molécule particulièrement fragile qui se dégrade dès la mort de l'individu. Que peut-il en rester après 38 000 ans (l'âge de l'individu retrouvé dans la grotte de Vindija) ? Par ailleurs, cet ADN du noyau est incroyablement rare au sein de la cellule : il ne représente que 0,05 % de l'ADN mitochondrial, autrement dit de l'ADN que l'on trouve autour du noyau !
Enfin, les échantillons sont bien souvent contaminés par de l'ADN étranger, d'origine humaine ou non. Or, en cas de contamination humaine, il est impossible de distinguer l'ADN néandertalien de celui de l'homme moderne.
Une grande partie du challenge consistait donc à trouver un fossile possédant tout à la fois un ADN en bon état et non contaminé (en se basant sur le taux d'ADN mitochondrial étranger, plus facile à identifier). En testant plus de 70 échantillons provenant du monde entier, les chercheurs ont ainsi pu isoler un fossile retrouvé à Vindija dont la contamination par l'homme moderne était inférieure à 1 %.
L'os à partir duquel ont été effectuées les analyses appartient à un Néandertalien de 38 000 ans retrouvé en 1980 dans la grotte de Vindija (Croatie).
Plus d’un million de bases déjà identifiées
Bien qu'indépendants, les deux laboratoires ont exploité le même échantillon. Et tous deux ont retenu une approche « métagénomique » : plutôt que de chercher à purifier l'ADN néandertalien avant séquençage, c'est un ADN contaminé qui a été analysé (grâce à une méthode ultrarapide appelée pyroséquençage) ; un programme informatique particulièrement complexe s'est ensuite chargé d'isoler les séquences néandertaliennes parmi celles appartenant aux autres organismes.
Dans le cas de l'équipe de Pääbo, 225 000 fragments d'ADN ont ainsi été obtenus. Mais très vite, les analyses ont révélé que 94 % de ces fragments n'avaient rien à voir, ni de près ni de loin, avec de l'ADN humain, ceux-ci appartenant en effet à des microorganismes du sol. En se débarrassant virtuellement et a posteriori de cette contamination, les chercheurs ont pu isoler plus d'un million de bases d'origine néandertalienne. Usant d'une autre méthode de préparation de l'ADN, l'équipe de Rubin a pu identifier, quant à elle, 65 250 bases provenant de notre proche cousin.
Un divorce consommé il y a environ 500 000 ans
Au-delà de la performance technologique, ces premiers résultats offrent déjà de nombreux enseignements sur l'homme de Neandertal. Les deux études confirment d'abord la proche parenté qui unit Homo neanderthalensis à Homo sapiens : les deux espèces partagent 99,5 % de leur génome.
Par ailleurs, en étudiant les différences entre les deux génomes, elles permettent d'estimer plus précisément à quel moment les deux espèces se sont séparées. Pour l'équipe de Svante Pääbo, cette divergence se situe entre 465 000 à 569 000 ans, la date la plus probable étant de 512 000 ans.
De son côté, l'équipe de Rubin situe cette séparation entre 120 000 et 670 000 ans, avec pour meilleure estimation 370 000 ans. Pour cette même équipe, le dernier ancêtre commun entre les deux espèces – avant le début de toute divergence – remonte à 706 000 ans.
Avec une date de séparation commune située autour de 400 000 - 500 000 ans, les deux études confortent donc les thèses actuelles. Mais elles apportent également de nouveaux éléments au dossier. En s'appuyant sur des modèles récents, l'étude de Pääbo précise que les Néandertaliens sont issus d'une population ancestrale réduite, estimée à environ 3 000 individus reproducteurs. Un chiffre à comparer aux 15 000 individus dont sont vraisemblablement issus les 6,5 milliards d'être humains présents aujourd'hui sur Terre.
Neanderthalensis et sapiens ont-ils « fauté » ?...
Un tel travail ne pouvait que raviver les discussions concernant un éventuel croisement entre Néandertalien et homme moderne. Sur ce sujet, les deux études sont très claires : aucun échange n'a pu être constaté depuis la séparation des deux espèces.
Ce constat ne s'applique cependant qu'à la fraction de génome étudiée. Rubin comme Pääbo n'excluent d'ailleurs pas un échange limité entre Homo sapiens et Homo neanderthalensis. Mais au vu de ces nouveaux résultats, ces éventuels échanges – qui restent à prouver au plan scientifique – n'ont pu être que très partiels. « L'hypothèse, pas si lointaine, selon laquelle les Européens seraient issus de l'homme de Neandertal est révolue, note ainsi Jean-Jacques Hublin. Aujourd'hui, la question – qui, en définitive, n'est pas très importante – est de savoir si les Néandertaliens ont pu laisser dans les populations européennes actuelles quelques traces de leur génome... ou bien pas du tout ! »
Un gène néandertalien identifié chez l’homme moderne ?
Vers un séquençage complet
Les chiffres sont trompeurs : un million de bases séquencées ne représentent qu'une infime fraction du génome de Neandertal qui en possède, comme nous, quelque 3,2 milliards (pour environ 30 000 gènes). Les chercheurs le savent bien et n'entendent pas s'arrêter en si bon chemin. Maintenant que la faisabilité d'une telle entreprise a été démontrée, Svante Pääbo estime pouvoir décoder 80 % du génome néandertalien d'ici deux à trois ans. Plusieurs autres équipes – dont celle de Rubin – se sont également lancées dans cette compétition scientifique.
Que peut-on en attendre ? « Jusqu'à présent, note Jean-Jacques Hublin, l'être le plus proche de nous avec qui nous pouvions comparer notre ADN était le chimpanzé. Or, notre ancêtre commun avec cette espèce remonte à 6,5 millions d'années, peut-être plus. Que s'est-il passé depuis ? Et quand sont apparus les gènes qui font de nous des hommes à part entière ? Avec le génome de Neandertal, nous allons désormais savoir si ces gènes sont apparus récemment – il y a moins de 500 000 ans – ou avant la séparation des deux espèces. »
Source:cite-sciences.com
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