jeudi 23 octobre 2008
Enygme dans les catacombes de Rome
A quelques mètres sous le sol, dans une paisible banlieue romaine, dormaient les ingrédients d'un scénario macabre et tragique : des catacombes, des squelettes amoncelés par milliers, une épidémie survenue il y a quelque dix-neuf siècles, le tout sur fond de culte rendu aux premiers martyrs de la chrétienté... L'histoire commence pourtant par un incident très banal survenu à l'été 2003, dans un jardin des faubourgs du sud-est de Rome, à moins de 5 kilomètres du centre-ville.
"Après la rupture d'une canalisation d'eau, une fosse avait été ouverte sur un terrain privé", raconte Raffaella Giuliani, de la Commission pontificale de l'archéologie sacrée. L'incident se produit sur le périmètre des catacombes des Saints-Pierre-et-Marcellin, tout à côté de l'imposant mausolée d'Hélène, édifié par l'empereur Constantin (272-337) pour sa mère. Très vite, la Commission pontificale dépêche sur place des experts qui déblaient l'éboulement et mettent au jour un ensemble de plusieurs salles jusqu'ici inexplorées des catacombes. Au sol, les ossements de 3 000 à 4 000 personnes. Le temps de bâtir des murs d'étai pour éviter l'effondrement des voûtes, et le site est confié, en 2005, à des archéologues français qui achèveront, le 30 octobre, leur dernière campagne.
"L'idée première était de nous faire venir pour que nous expliquions un massacre éventuel et que nous repartions très vite, explique la chercheuse Dominique Castex (CNRS), qui codirige les fouilles. Mais cela ne s'est pas passé comme ça." En apparence, les choses auraient pu être simples. Dans des salles oubliées d'une catacombe, on retrouve des ossements : quoi de plus normal ? La soixantaine de catacombes romaines ont été largement utilisées comme cimetières par les premiers chrétiens, entre le milieu du IIIe siècle et la fin du IVe.
Ce qui était auparavant des citernes creusées dans la roche ou des carrières a ainsi été aménagé en écheveau de galeries de plusieurs kilomètres qui s'emmêlent sur deux ou trois niveaux, généralement à une dizaine de mètres de profondeur. Dans les parois de ces labyrinthes, des loculi - sortes de niches rectangulaires - ont été creusés pour accueillir des sépultures (ils sont aujourd'hui vides d'ossements).
Ce sont même souvent de véritables caveaux qui ont été dégagés, avant d'être parfois richement décorés par leurs propriétaires. Selon l'estimation de Jean Guyon (CNRS, Maison méditerranéenne des sciences de l'homme), un des meilleurs connaisseurs du sujet, près de 25 000 défunts ont été enterrés dans la seule catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin.
Mais rien, dans les amas de restes humains découverts en 2003, ne rappelle les sépultures chrétiennes des IIIe et IVe siècles. D'abord, explique Dominique Castex, "la datation au carbone 14 de l'un des corps a donné une date comprise entre 80 et 132 de notre ère". Bien avant, donc, que ces souterrains ne soient convertis en nécropoles chrétiennes.
Les morts ont donc, selon toute vraisemblance, été déposés dans d'anciennes citernes enterrées ou dans les replis d'une carrière de tuf désaffectée. Déposés ou jetés ? "L'état de conservation des connexions osseuses fragiles montre que les corps ont été déposés en même temps, poursuit la chercheuse. Car si des cadavres avaient été jetés sur des corps déjà décomposés, ces petites jointures auraient été désorganisées, ce qui n'est pas le cas ici."
Les corps ont donc été installés couche après couche, dans un court laps de temps, "alignés, tête-bêche, selon un axe nord-sud ou est-ouest", précise Mme Castex. Une poudre blanchâtre a été répandue sur les corps. De la chaux vive ? Il n'en est rien : "L'analyse a montré qu'il s'agissait de plâtre."
L'étude physico-chimique des restes réserve une autre surprise : de l'ambre de la lointaine Baltique a également été appliqué sur les défunts, mêlé à une autre résine végétale en cours d'analyse. C'est la première fois qu'une telle "pseudo-momification" est documentée. Nicolas Laubry, membre de l'Ecole française de Rome, confirme l'étrangeté du procédé, "d'autant qu'à cette époque, le traitement funéraire le plus utilisé est la crémation, l'inhumation demeurant très marginale à Rome", dit-il.
Qui sont donc ces 3 000 à 4 000 défunts ? "Ce sont surtout de jeunes adultes", dit Philippe Blanchard (Institut national de recherches archéologiques préventives), codirecteur des fouilles. Qui n'appartiennent apparemment pas aux couches les plus basses de la société, puisque les tissus mortuaires dont ils sont parés étaient enrichis de fils d'or... Pourrait-il s'agir d'un groupe de martyrs assassinés sous Domitien (81-96) ou Trajan (98-117) ?
L'hypothèse est d'autant plus séduisante que seul un mur séparait l'une des galeries principales de la catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin du chapelet de nouvelles salles mises au jour. Et sur ce mur, une fresque datée du VIe ou du VIIe siècle - époque où les catacombes romaines sont visitées par de nombreux pèlerins -, dont les restes visibles évoquent un culte à un groupe de martyrs. De plus, tout à côté de cette fresque, une demi-colonne a été adossée au mur, sur laquelle les pèlerins pouvaient déposer une offrande.
Las ! L'hypothèse est caduque. Les membres de ces supposés martyrs ne portent aucun stigmate et les malheureux semblent n'avoir jamais été mis au supplice. "L'hypothèse la plus probable est aujourd'hui qu'il s'est agi d'une mortalité importante due à une ou plusieurs épisodes épidémiques", dit Philippe Blanchard. Quant au traitement minutieux des dépouilles mortelles, "il faut simplement imaginer que les règles d'hygiène n'étaient alors sans doute pas celles que nous avons en tête lorsque nous imaginons la gestion d'un épidémie", dit Mme Castex. "Ce n'est pas parce que quelqu'un meurt de maladie que sa dépouille est abandonnée ou brûlée."
Pas de martyrs, donc. Plutôt les victimes d'une maladie foudroyante. Mais, en ce cas, cette paroi ornée d'une fresque, cet autel en forme de demi-colonne votive, à qui pouvaient-ils rendre hommage ? Jean Guyon a bien une hypothèse. "Il est possible qu'en voulant prolonger et agrandir des galeries, des chrétiens soient tombés sur ces salles, explique-t-il. Et ils ont pu croire, de bonne foi, que ceux qui étaient disposés là étaient des martyrs morts longtemps avant eux."
Que pouvaient-ils faire ? Remonter un mur pour laisser les morts en paix, tout en permettant aux pèlerins de rendre, de l'autre côté du mur, le culte dû à ceux dont ils pensaient qu'ils étaient parmi les premiers martyrs de la chrétienté... Eux aussi ignoraient donc, sans doute, la véritable identité des 3 000 à 4 000 inconnus de la catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin.
Source:le monde
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