La vie comme un jeu
Depuis, la démarche ne cesse de rallier des émules. Surtout depuis 2004, date du lancement par trois ingénieurs du MIT (Institut de technologie du Massachusetts) du concours international de machines génétiques (iGEM) (1). Chaque année, une soixante d’équipes de jeunes post-doc et thésards issus de tous les coins du monde, formés à l’informatique, la biologie moléculaire, la chimie… partagent leurs innovations : bactéries clignotantes, pilotables, capables d’apprentissage, pourvoyeuses d’énergie… Et ils ne manquent pas d’apporter au « pot commun » leurs « biobriques », ces composants stratégiques à partir desquels les chercheurs espèrent pouvoir fabriquer une sorte de « microbe-chassis ». Ici la règle du jeu c’est l’open-source.
On en compte environ 3 000 aujourd’hui, dans le « Registre des éléments standards » mis en place au MIT (2).
Publications et investissements se déploient pour faire produire des substances inédites à des levures (l’artémisinine par exemple pour lutter contre le paludisme) ou à des bactéries (l’hydrogène ou des carburants). La fondation Bill et Melinda Gates a versé 42,5 millions de dollars, en 2004, pour soutenir l’Université de Berkeley, OneWorld Health et Amyris Biotechnologies dans le développement d’usines microbiennes à artémisinine.
Cette démarche de « legos génétiques » est complétée par une approche inverse dite « descendante » qui consiste à déterminer les « génomes minimaux » suffisant à « faire tourner » un organisme vivant. Il s’agit de dépouiller les génomes de toutes les informations superflues. Les premières tentatives ont ciblé le patrimoine génétique des virus, formes de vies parasites les plus simples. Ainsi le virologiste américain Eckard Wimmer a élaboré en 2002 un poliovirus, à partir de « pièces détachées » (3) ; puis fut reconstitué, en 2005, un autre agent virulent, le virus de la grippe espagnole (4). Mais c’est surtout Craig Venter, champion du séquençage du génome humain et déjà surnommé le « Bill Gates de la vie artificielle » (5) qui devrait battre tout le monde sur le fil : il a annoncé en janvier 2008 avoir synthétisé le chromosome artificiel minimal, constitué de 386 gènes, de la bactérie modèle Mycoplasma genitalium. Reste à le réintroduire dans une bactérie sans noyau et vérifier que ça marche !
Risques, information et gouvernance
Avec comme horizon la fabrique d’organismes vivants artificiels, la biologie synthétique soulève des questions vertigineuses en matière de sécurité, de protection, de contrôle. Le bioterrorisme va être de plus en plus difficile à contrôler d’autant que ces outils moléculaires sont faciles d’accès et leurs prix deviennent dérisoires. Du côté économique, le risque de monopoles va aller croissant par le dépôt de brevets sur les génomes minimaux aux revendications très larges. En janvier 2007, le groupe ETC produisait un gros rapport de 65 pages intitulé « Ingénierie génétique extrême : une introduction à la biologie synthétique » (6) qui critiquait les tentations monopolistiques qui reproduisent les dominations de Microsoft (en informatique) et de Monsanto (en agriculture).
D’autres rapports soulignent la difficulté de contrôle de ces créations (7). Les options techniques de confinement sont peu convaincantes : isolement en laboratoire P4 ou P5, confinement alimentaire… Certains chercheurs comme Philippe Marlière, fondateur de la société Isthmus (Evry), propose de s’éloigner le plus possible des organismes naturels pour assurer l’étanchéité entre les mondes (8). Le Conseil international sur la gouvernance des risques (basé en Suisse) a planché sur « les risques et opportunités, générés par la biologie synthétique ». Son rapport s’achève par une avalanche de questions (9) à l’instar du document publié par les deux Britanniques Andrew Balmer et Paul Martin en mai 2008 (10) qui pointe la nécessité d’associer la société civile à l’information et à la démonstration des avantages sociaux potentiels. « Des expériences d’engagement précoce des parties prenantes doivent être menées pour clarifier ce qu’est une science socialement acceptable », concluent les deux auteurs. C’était déjà la revendication des trente-huit associations qui, dès mai 2006, à l’occasion de la conférence Synbio 2.0 (11) avaient rédigé une lettre ouverte (11) pour s’opposer à une autorégulation de ces activités par les scientifiques eux-mêmes.
(1) Les plus importantes sociétés aux Etats-Unis sont Codon Devices, Amyris Biotechnologies, Genencor, DuPont, EraGen Biosciences, Firebird Biomolecular Sciences, LS9 et Agrivida.
(2) http://2008.igem.org
(3) http://parts.mit.edu
(4) J. Cello, A.V. Paul and E. Wimmer, Science 297 (2002), pp. 1016–1018
(5) Terrence M. Tumpey et al, Characterization of the reconstructed 1918 Spanish influenza pandemic virus, Science 310 (2005), pp. 77–80
( 6) http://www.vivagora.org/spip.php ?page=recherche&recherche=craig+venter&bouton_ok=OK
(7) Michele Garfinkel, S Endy et Al. Synthetic Genomics : options for governance http://www.jcvi.org ; voir aussi le programme européen Synbiosafe, http://www.synbiosafe.eu/
(8) http://www.vivagora.org/spip.php ?breve150
(9) Note conceptuelle Irgc 2008, Biologie synthétique : Risques et opportunités d’un domaine émergent.
(10) Andrew Balmer, Paul Martin. Synthetic Biology : Social and Ethical Challenges, commandité par le Conseil de la recherche en biotechnologie et en sciences biologiques (BBSRC)
(11) Deuxième conférence de la série 1.0, 2.0 et 3.0 qui se sont tenues respectivement au MIT, à Berkeley, et à Zurich. La prochaine Synbio 4.0 est prévue en octobre 2008 à Hong Kong
(12) http://sciencescitoyennes.org/article.php3 ?id_article=1497
Source:.vivagora.org
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