mardi 27 mai 2008

Nouvelles preuves de la sélection naturelle

Chère à Darwin, la sélection naturelle est un lent processus qui distingue, au fil des générations, les individus les mieux adaptés à leur environnement. Mais si elle est souvent citée pour expliquer les caractéristiques d'animaux ou de plantes, son rôle est-il confirmé dans l'espèce humaine ? Oui, assure aujourd'hui une équipe de l'unité "Génétique évolutive humaine" de l'Institut Pasteur, à Paris (1). La sélection naturelle a bel et bien modelé notre patrimoine génétique.

Pour la première fois, les chercheurs apportent la preuve, à l'échelle du génome entier, qu'elle est responsable des différences qui existent entre les populations. "Avant toute chose, il faut rappeler que génétiquement le concept de races humaines – c'est-à-dire le fait de vouloir subdiviser l'espèce humaine d'après des caractères physiques héréditaires – n'a aucun sens, signale Lluis Quintana-Murci, directeur de l'unité. L'espèce humaine est jeune, et la diversité génétique s'avère finalement très faible. Sans compter que le génome d'un Lillois, par exemple, peut présenter plus de différences avec celui d'un Montpelliérain qu'avec celui d'un Dakarois."

Il n'empêche, il existe une réelle variabilité à l'échelle des populations, qui se traduit par des traits physiques et physiologiques distincts. Par exemple, les Asiatiques ne digèrent pas le lactose du lait, contrairement aux Européens du Nord et à certaines populations africaines. Et les Européens du Nord, eux, résistent bien moins au paludisme que les Africains. L'enjeu est donc de savoir si ces grandes tendances prennent leur source dans la dérive génétique, c'est-à-dire dans le simple hasard des brassages démographiques, ou dans la fameuse sélection naturelle. Dans ce cas, une mutation génétique qui confère un avantage dans un environnement donné se répand plus rapidement au sein de la population.

Pour résoudre ce dilemme, les chercheurs se sont intéressés aux mutations de simples bases dans le génome humain. Quèsaco ? Notre patrimoine génétique est écrit avec un alphabet qui ne contient que quatre lettres, ou bases – A, T, C, G –, dont l'ordre d'assemblage définit toutes les substances constituant notre organisme. Or il arrive que dans une séquence donnée, une base soit malencontreusement remplacée par une autre. Lluis Quintana-Murci et ses collègues ont comparé près de 3 millions de ces mutations uniques chez plus de deux cents Nigérians, Chinois, Japonais et Européens du Nord, répertoriées dans le cadre du projet international Hapmap (2). L'idée était alors de calculer le degré de variabilité entre les populations pour chaque mutation. En clair, il s'agit d'une mesure statistique qui établit la présence ou non d'une mutation donnée dans une population. Un cas extrême serait par exemple que tous les Européens possèdent, à un endroit précis de leur génome, une base A alors que le reste du monde possède une base G. Le degré de variabilité pour cette mutation serait alors maximal, puisque tous les membres d'une unique population la porteraient.

Les chercheurs ont calculé le degré de variabilité pour chaque classe de mutations: selon qu'elles affectent un gène avec ou sans conséquences sur la protéine correspondante, qu'elles touchent une région du génome qui régule l'expression d'un gène ou n'a aucune fonction particulière...

"Si les fréquences des mutations étaient gouvernées par la simple dérive génétique, celles-ci toucheraient le génome dans son ensemble et aucune classe de mutations ne serait avantagée par rapport à une autre, explique Lluis Quintana-Murci. En revanche, si leurs fréquences ont été influencées par la sélection naturelle locale, et donc impliquées dans l'adaptation à l'environnement de chaque population, il est évident que les régions du génome les plus importantes pour la bonne marche de l'organisme montreront le degré de variabilité le plus élevé." Et c'est bien ce que les chercheurs ont découvert. Les mutations qui affectent directement les gènes et leurs protéines, et les régions régulatrices des gènes montrent une plus grande variabilité entre populations que les autres. En fait, 582 gènes exactement sont impliqués. Il s'agit évidemment de ceux contrôlant les traits morphologiques, comme la couleur de peau ou le type de cheveux, mais aussi de ceux qui régulent le métabolisme ou la réponse immunitaire aux pathogènes. C'est ainsi qu'une mutation du gène CR1, impliqué dans la résistance aux attaques de paludisme, se retrouve chez 85 % des Africains mais est absente chez les Européens et les Asiatiques.

L'équipe de Lluis Quintana-Murci ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Elle souhaite maintenant mieux connaître le rôle de la sélection naturelle dans les interactions de l'homme avec les pathogènes et savoir dans quelle mesure celles-ci sont affectées par le mode de vie des populations humaines.


Notes:

(1) Unité CNRS "Hôtes, vecteurs et agents infectieux: biologie et dynamique".

(2) Financé par le Japon, la Chine, le Royaume-Uni, le Canada, le Nigéria et les États-Unis, le projet Hapmap vise à cataloguer les similitudes et les différences génétiques entre les humains, notamment pour l'identification de gènes associés à des maladies et à la réponse aux traitements.



Source: CNRS

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