dimanche 24 février 2008

Le voyage de l’homme, une odyssée génétique

Énoncée comme ça, la situation paraît désespérée. L’espèce humaine n’aurait jamais dû naître, prospérer et aboutir à ce sommet de la civilisation que représentent les échanges virtuels sur Pointscommuns.

Et pourtant…
Toutes les recherches actuelles des généticiens qui se penchent sur l’histoire de l’humanité convergent vers cette conclusion troublante.

Reprenons la démonstration au début.

Au début, il y avait un biochimiste australien, Allan Wilson, qui travaillait avec une thésarde, Rebecca Cann à Berkeley, et qui publia en 1987 le résultat commun de leurs recherches, affirmant que toute l’humanité descendait d’une seule femme qui avait vécu en Afrique il y a 200.000 ans.
Je me rappelle encore mon choc et mon enthousiasme en lisant les grands titres des magazines de l’époque. Bien sûr, on se doutait depuis longtemps que l’humanité descendait d’une souche commune, mais ça fait quand même plus de 4 millions d’années que des humanoïdes marchent sur terre. Peut-être même 7 ou 8, si ça se trouve. Alors si notre dernier ancêtre commun remonte aux premiers primates évolués, ça fait de nous tous des cousins, certes, mais bigrement lointains.
200.000 ans, par contre, c’est hier. Ca veut dire que notre grand-mère à tous était déjà une sapiens…et les études ultérieures n’ont fait que la rapprocher de nous, puisqu’elle aurait maintenant 150.000 ans.

Comment Wilson et Cann sont-ils arrivés à cette conclusion ?
Simple, en tout cas en théorie : ils se sont penchés sur l’ADN qu’on trouve dans les mitochondries, les vestiges d’anciennes bactéries qui se sont trouvées englobées dans nos cellules, et qui servent de centrales énergétiques. L’avantage des mitochondries ? Elles ont leur propre génome, qui nous est transmis uniquement par notre mère. Résultat : leur passé est beaucoup plus simple à analyser dans la mesure où le génome n’est pas pollué à chaque conception d’un nouvel humain par une recombinaison avec le génome du père.
Du coup, si on postule que le génome, qui connaît des mutations à chaque nouvelle naissance, évolue à un rythme constant, on peut assez facilement établir un arbre généalogique de tous les humains en analysant les différences entre les gènes de leurs mitochondries.

Pour reprendre la comparaison que donne Spencer Wells (1), généticien américain dans son livre « le voyage de l’homme, une odyssée génétique» (2) c’est comme si dans un village provençal, les mères transmettaient la recette de la bouillabaisse à leurs filles. A chaque génération, les filles rajouteraient leurs propres ingrédients à la recette initiale, si bien qu’au bout de deux ou trois générations, on aurait autant des soupe différentes que de cousins et cousines. Mais les composants de base seraient suffisamment communs pour qu’on soit capable de reconnaître que c’est la bouillabaisse de la famille Dupont. Et en analysant ces composants communs, on serait sans doute capable de reconstituer la recette de base, en l’occurrence, « l’Ève mitochondriale ».


Maintenant qu’Ève avait été localisée, restait à identifier Adam, histoire de s’assurer que toutes les histoires allaient bien dans le même sens.
Ce fut un peu plus fastidieux. Il fallut faire parler le chromosome Y qui resta longtemps muet. Et ce n’est qu’en 2000 que la petite équipe de chercheurs, dont Spencer Wells, qui s’attaquait aux racines de l’homme réussit à publier le résultat de ses études.
Mais la conclusion était un peu embarrassante : certes Adam était également Africain, mais...il était en retard : il n’avait que 60.000 ans !


Comment expliquer ce paradoxe ?
Ce que nous indique la génétique quand elle retrace l’arbre généalogique de l’ensemble de l’humanité, c’est le dernier ancêtre commun, au-delà duquel nous ne pouvons plus percer les mécanismes de l’évolution. Rien n’exclut qu’avant Adam nous ayons eu un autre grand parent commun, le compagnon d’Ève.
Et puis, de façon troublante, ce que révèle cet ancêtre masculin plus récent, c’est toute une politique sexuelle qui est sans doute la marque de l’humanité depuis des millénaires. Adam n’était certainement pas le seul humain sur terre il y a 60.000 ans. C’était simplement un mâle dominant à l’intérieur d’une tribu qui s’est trouvée à un point stratégique des grands mouvements de migration qui ont peuplé la terre. Du coup, ses descendants, selon la tradition honorée du butin de guerre, ont pris pour eux les femmes des peuplades qu’ils rencontraient au fur et à mesure de leurs tribulations. Adam n’était pas le seul, mais il a eu de la chance : les descendants de ses concurrents se sont éteints progressivement alors que sa progéniture « croissait et se multipliait ».
Plus près de nous, on a quelques exemples de ce phénomène : il semblerait, selon une étude publiée en 2003, que 8% des hommes peuplant une grande partie de l’Asie descendent d’un ancêtre qui vivait il y a 1 000 ans en Mongolie, sans doute Gengis Khan. Il fallait en effet être en position d’avoir de nombreux enfants qui survivent dans de bonnes conditions, et que ses enfants à son tour puissent avoir une progéniture nombreuse. Ca aide quand on a une bonne situation matérielle et un harem….


Au-delà de l’âge d’Adam, l’intérêt de l’étude sur le chromosome Y est qu’elle a pu permettre de faire des hypothèses sur les vagues de peuplement de la planète.

Au commencement, peu de temps après Adam vivait en Éthiopie un homme, appelons-le Caïn. Caïn est l’ancêtre de tous les humains non Africains…et de quelques Africains (en Éthiopie et au Soudan en particulier).

Après Caïn vécut Noé, qui est à l’origine de tous les Australiens et d’une partie des habitants de l’Asie du Sud Ouest, mais qui n’a plus aucun descendant en Afrique. Noé appréciait la mer. Il y a 55.000 ans, il se mit donc en route le long des côtes d’Arabie, puis du Golfe Persique. Il a descendu le littoral iranien, pakistanais, indien (il a encore des descendants chez les Indiens du Sud, les Dravidiens), puis la côte d’Asie du Sud-Est avant d’arriver en pagayant à Sumatra, Java, et en Australie. Le chemin étant facile, le long du rivage, il est arrivé assez vite après son départ puisque les premiers vestiges humains en Australie dateraient de –50.000 ans environ.

Un cousin lointain de Noé, Abraham, qui vivait il y a 50.000 ans environ au Proche Orient, a quelques descendants en Afrique, mais il a surtout lancé le grand mouvement vers l’est qui sera à l’origine du peuplement de toute l’Asie et de l’Europe.
Son petit-fils, Isaac, qui vivait en Iran il y a 40.000 ans a eu trois descendants qui se sont dirigés le premier vers l’Inde (en supplantant au passage une bonne partie des fils de Noé. Les filles, elles, sont restées puisque les conquérants les ont prises pour compagnes), le second vers la Chine et la Corée, le troisième vers la grande steppe d’Asie centrale.

Enfin, il y a 30.000 ans environ, les chasseurs de mammouths d’Asie Centrale se rendent compte qu’il y a des terres plus accueillantes à l’ouest, dans la direction où le soleil se couche. C’est l’arrivée de l’Aurignacien sur nos terres, qui marque le paléolithique supérieur avec les premières représentations figuratives et la disparition, programmée sur quelques milliers d’années, de Néandertal.

La page est définitivement tournée : en 30.000 ans, les fils d’Adam ont colonisé la terre.




(1) http://en.wikipedia.org/wiki/Spencer_Wells

(2) The Journey of Man, a Genetic Odyssey.
Spencer Wells, 2002

pointscommuns

1 commentaire:

  1. La série documentaire "La Grande Famille de l'Homme" est rediffusée ce dimanche sur National Geographic. A cette occasion, nous faisons gagner un kit ADN à l'auteur du billet le plus intéressant, drôle, décalé sur l'émission.
    N'hésitez pas à en parler sur DinotoxtrA. Pour en savoir plus : http://www.agence-modedemploi.com/buzz/fr/la-grande-famille-de-lhomme-kit-adn-national-geographic/

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