PLANETE. Non, l'évolution des espèces n'est pas toujours régulière. Elle s'est emballée au moins deux fois, assure la revue «Science».
Etienne Dubuis
Mardi 8 janvier 2008
L'évolution des espèces n'est pas toujours aussi lente et régulière qu'on a pu l'imaginer. Si elle prend le plus souvent son temps, elle peut aussi changer brutalement de rythme. Les paléontologues avaient déjà constaté une formidable accélération lors du Cambrien, une époque qui a connu, il y a un peu plus de 500 millions d'années, une explosion soudaine de nouvelles formes de vie. Des chercheurs américains de l'université de Virginia Tech viennent d'identifier un deuxième épisode du genre 50 millions d'années plus tôt, lors de l'Ediacarien. Une découverte relatée dans la revue Science du 4 janvier.
L'Ediacarien représente un moment clé de la vie sur Terre. Deux développements majeurs, la fonte partielle des glaces qui ont longtemps recouvert la planète jusqu'à l'équateur et l'infusion d'oxygène dans les océans par les bactéries, ont bouleversé le milieu marin. Apparaît alors au fond de l'eau une faune totalement nouvelle: les premiers organismes multicellulaires. Ils ont pour caractéristique commune d'être très minces, puisqu'ils ne comptent qu'un millimètre d'épaisseur. Leur longueur est en revanche variable, les plus grands pouvant mesurer plusieurs dizaines de centimètres. Quant à leur forme, elle est tantôt ronde comme un disque, tantôt conique comme une feuille d'arbre.
Le terme «édiacarien» vient des collines du sud de l'Australie, les Ediacara Hills, où ont été découverts, en 1946, les premiers fossiles de cette époque. Depuis, d'autres vestiges ont été dénichés, notamment dans la région de la mer Blanche, en Russie, dans le désert du Kalahari, en Namibie, et sur l'île de Terre-Neuve, au Canada. Une moisson qui a permis de découper cette période en trois étapes, baptisées de noms de lieux: Avalon (575 à 565 millions d'années), qui inaugure le cycle à de grandes profondeurs; mer Blanche (560 à 550), qui représente un âge d'or au cours duquel la nouvelle faune se diversifie et se répand à travers le monde; et Nama (550 à 542), qui la voit s'appauvrir avant de disparaître.
Les chercheurs de Virginia Tech ont eu pour première ambition de retracer l'histoire de ces animaux d'une manière plus précise que ne l'avaient fait leurs devanciers. Pour y parvenir, ils ont répertorié une cinquantaine de caractéristiques morphologiques chez les quelque 200 espèces connues de l'Ediacarien. Puis ils ont créé sur cette base de grands modèles. «L'exercice consiste à caractériser numériquement des formes, explique Jean Guex, professeur de paléontologie à l'Université de Lausanne. Admettons que vous vouliez le réaliser avec des bouteilles, vous retiendriez les idées de cylindre, de col, etc., puis vous regarderiez ce qui entrerait dans ce moule. Vous pourriez y introduire sans peine toutes les bouteilles que vous voudriez mais vous n'arriveriez pas à y placer des vaches, par exemple.»
Or, qu'a découvert l'équipe américaine? Que les espèces de la période Avalon «contenaient» toutes les autres. En d'autres termes, qu'elles présentaient déjà les traits essentiels des animaux des deux étapes suivantes, mer Blanche et Nama.
Et alors? Alors, cela signifie que l'Ediacarien a connu à ses débuts une explosion de vie, puis que sa faune s'est stabilisée. Il y a plus de 575 millions d'années, aucun animal multicellulaire n'avait encore fait son apparition sur Terre. Dix millions d'années plus tard, les quelque 200 espèces de la période avaient plus ou moins trouvé leur constitution définitive.
«A en croire cet article, l'Ediacarien a été une sorte de répétition générale du Cambrien, remarque Jean-Pierre Berger, paléontologue à l'Université de Fribourg. Si cela devait se vérifier, cela confirmerait la théorie de l'équilibre ponctué, selon laquelle l'évolution comprend de longues périodes d'équilibre ponctuées de brèves périodes de changements importants.» Elaborée en 1972 par les paléontologues américains Stephen Jay Gould et Niles Eldredge, cette hypothèse a été longtemps combattue par de nombreux scientifiques, parmi les héritiers de Darwin notamment, avant d'emporter la conviction de la majorité.
Comment s'expliquer de tels bonds? «Un potentiel d'évolution lié à des circonstances favorables, à commencer par un large espace à occuper, répond Jean-Pierre Berger. Or, au début de l'Ediacarien, les mers n'étaient occupées que par des êtres minuscules.
Les espèces de l'Ediacarien ont ainsi pu prospérer sans concurrents pendant 33 millions d'années en tapissant les fonds marins. Puis, au début du Cambrien, elles ont été débordées par l'explosion d'une nouvelle faune surgie de l'intérieur des sédiments. Une faune dotée d'une arme nouvelle redoutable: des parties en dur, des coquillages, des carapaces. Une faune devant laquelle elles ont rapidement plié.
Les paléontologues ont longtemps considéré les espèces de l'Ediacarien comme les ancêtres de celles du Cambrien, qui sont elles-mêmes nos très lointaines aïeules. Mais ils ont dû se détromper. Ces premiers multicellulaires n'ont pas seulement disparu aussi vite qu'ils sont apparus. Ils n'ont laissé apparemment aucune descendance. Et resteront dans l'histoire de la Vie un bref feu d'artifice de 33 millions d'années.
Etienne Dubuis
Mardi 8 janvier 2008
L'évolution des espèces n'est pas toujours aussi lente et régulière qu'on a pu l'imaginer. Si elle prend le plus souvent son temps, elle peut aussi changer brutalement de rythme. Les paléontologues avaient déjà constaté une formidable accélération lors du Cambrien, une époque qui a connu, il y a un peu plus de 500 millions d'années, une explosion soudaine de nouvelles formes de vie. Des chercheurs américains de l'université de Virginia Tech viennent d'identifier un deuxième épisode du genre 50 millions d'années plus tôt, lors de l'Ediacarien. Une découverte relatée dans la revue Science du 4 janvier.
L'Ediacarien représente un moment clé de la vie sur Terre. Deux développements majeurs, la fonte partielle des glaces qui ont longtemps recouvert la planète jusqu'à l'équateur et l'infusion d'oxygène dans les océans par les bactéries, ont bouleversé le milieu marin. Apparaît alors au fond de l'eau une faune totalement nouvelle: les premiers organismes multicellulaires. Ils ont pour caractéristique commune d'être très minces, puisqu'ils ne comptent qu'un millimètre d'épaisseur. Leur longueur est en revanche variable, les plus grands pouvant mesurer plusieurs dizaines de centimètres. Quant à leur forme, elle est tantôt ronde comme un disque, tantôt conique comme une feuille d'arbre.
Le terme «édiacarien» vient des collines du sud de l'Australie, les Ediacara Hills, où ont été découverts, en 1946, les premiers fossiles de cette époque. Depuis, d'autres vestiges ont été dénichés, notamment dans la région de la mer Blanche, en Russie, dans le désert du Kalahari, en Namibie, et sur l'île de Terre-Neuve, au Canada. Une moisson qui a permis de découper cette période en trois étapes, baptisées de noms de lieux: Avalon (575 à 565 millions d'années), qui inaugure le cycle à de grandes profondeurs; mer Blanche (560 à 550), qui représente un âge d'or au cours duquel la nouvelle faune se diversifie et se répand à travers le monde; et Nama (550 à 542), qui la voit s'appauvrir avant de disparaître.
Les chercheurs de Virginia Tech ont eu pour première ambition de retracer l'histoire de ces animaux d'une manière plus précise que ne l'avaient fait leurs devanciers. Pour y parvenir, ils ont répertorié une cinquantaine de caractéristiques morphologiques chez les quelque 200 espèces connues de l'Ediacarien. Puis ils ont créé sur cette base de grands modèles. «L'exercice consiste à caractériser numériquement des formes, explique Jean Guex, professeur de paléontologie à l'Université de Lausanne. Admettons que vous vouliez le réaliser avec des bouteilles, vous retiendriez les idées de cylindre, de col, etc., puis vous regarderiez ce qui entrerait dans ce moule. Vous pourriez y introduire sans peine toutes les bouteilles que vous voudriez mais vous n'arriveriez pas à y placer des vaches, par exemple.»
Or, qu'a découvert l'équipe américaine? Que les espèces de la période Avalon «contenaient» toutes les autres. En d'autres termes, qu'elles présentaient déjà les traits essentiels des animaux des deux étapes suivantes, mer Blanche et Nama.
Et alors? Alors, cela signifie que l'Ediacarien a connu à ses débuts une explosion de vie, puis que sa faune s'est stabilisée. Il y a plus de 575 millions d'années, aucun animal multicellulaire n'avait encore fait son apparition sur Terre. Dix millions d'années plus tard, les quelque 200 espèces de la période avaient plus ou moins trouvé leur constitution définitive.
«A en croire cet article, l'Ediacarien a été une sorte de répétition générale du Cambrien, remarque Jean-Pierre Berger, paléontologue à l'Université de Fribourg. Si cela devait se vérifier, cela confirmerait la théorie de l'équilibre ponctué, selon laquelle l'évolution comprend de longues périodes d'équilibre ponctuées de brèves périodes de changements importants.» Elaborée en 1972 par les paléontologues américains Stephen Jay Gould et Niles Eldredge, cette hypothèse a été longtemps combattue par de nombreux scientifiques, parmi les héritiers de Darwin notamment, avant d'emporter la conviction de la majorité.
Comment s'expliquer de tels bonds? «Un potentiel d'évolution lié à des circonstances favorables, à commencer par un large espace à occuper, répond Jean-Pierre Berger. Or, au début de l'Ediacarien, les mers n'étaient occupées que par des êtres minuscules.
Les espèces de l'Ediacarien ont ainsi pu prospérer sans concurrents pendant 33 millions d'années en tapissant les fonds marins. Puis, au début du Cambrien, elles ont été débordées par l'explosion d'une nouvelle faune surgie de l'intérieur des sédiments. Une faune dotée d'une arme nouvelle redoutable: des parties en dur, des coquillages, des carapaces. Une faune devant laquelle elles ont rapidement plié.
Les paléontologues ont longtemps considéré les espèces de l'Ediacarien comme les ancêtres de celles du Cambrien, qui sont elles-mêmes nos très lointaines aïeules. Mais ils ont dû se détromper. Ces premiers multicellulaires n'ont pas seulement disparu aussi vite qu'ils sont apparus. Ils n'ont laissé apparemment aucune descendance. Et resteront dans l'histoire de la Vie un bref feu d'artifice de 33 millions d'années.
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